Un Bouddhiste, un musulman, un protestant, deux catholiques et un orthodoxe sont à l’assemblée nationale
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Chères et chers tous toutes,
Mais oui c’est bien elle c’est la 9e itération de la newsletter de Samuel Hackwill! Avec des sortes de notes de bas de page qui se consultent en :cliquant dessus. Cette fois ci je vais vous donner quelques nouvelles et aussi vous faire un résumé de ce qui s’est passé dans une certaine commission spéciale de l’assemblée nationale (française), intitulée “table ronde avec les représentants du culte” sur Youtube. Dans cette vidéo, sept leaders de la vie religieuse officielle de notre pays ont donné leur avis sur un projet de loi, le projet de loi sur la fin de vie, c’était en Avril 2024.
L’Orthodoxe partage un passage de son livre préféré sous le regard pastoral et bienveillant de ses voisins.
Mais more on that later. La dernière fois que je vous ai parlé c’était début 2023. Qu’ai-je fait depuis?
What’s up
Arts visuels
- Cybercafé @ Halles de Schaerbeek (juin 24)
J’ai été invité à installer une pièce pendant 10 jours aux Halles de Schaerbeek (Bruxelles), à l’occasion du “Grand Marché”, un évènement à destination non pas du “public habituel des Halles” mais plutôt à destination des personnes géographiquement proches du théâtre, c’est-à-dire les voisines voisins de Schaerbeek (qui, en dépit de cette proximité spatiale, sont plutôt ce qu’on appelle traditionnellement les publics “éloignés” de la culture institutionnelle). Mon envie a été d’installer un Cybercafé aux Halles, avec des vrais ordinateurs dedans. Jacob Lyon a conçu et fabriqué à cet effet un monumental bureau à douze faces (la station de travail dodécagonale), et j’ai dessiné 8 fonds d’écrans pour les ordinateurs, un peu sur le mode du fanzine, avec du texte, des dessins et des icônes de bureau customisés renvoyant vers une sélection de jeux et de sites web, incluant notamment ma version française d’un jeu assez célèbre de Paolo Pedercini & Jim Munroe qui n’avait jamais été traduit (vous pouvez y jouer ici). On a également utilisé le cybercafé pour accueillir les conférences de Lori Roussey (au sujet du RGPD) et de Kevin Zanin (au sujet de QAnon et des e-Girls). Je pense que tout le monde en a eu pour son argent, entre le public vétéran qui a pu découvrir mes digressions sauvages sur les progrès récents de la soi-disant intelligence artificielle, Ivan Illich, la téléphonie, les représentations de la mort dans les jeux d’Amiga, et d’autre part ce groupe d’amis (âge : de 7 à 12 ans) qui est revenu tous les jours pour jouer à Roblox. J’étais très content de l’ambiance “cybercafé” qui m’a semblé fidèle à ma propre expérience de ces espaces pendant ma propre enfance.
- musique.nousparlions.com (mai 2023)
J’ai écrit 5 histoires courtes micro-animées pour le festival de musique La Brèche à Aix-les-bains, en réponse à l’invitation d’Antoine, le co-directeur du festival, qui m’a donné carte blanche dans la conception d’une petite-forme-pour-internet. Ce que j’ai créé, en utilisant ce que j’ai appris ces dernières années sur le dessin SVG, les animations CSS, et Javascript, sont des sortes de romans graphiques auto-hébergés. Vous pouvez les découvrir ici.
- sites web (novembre 23)
j’ai conçu un site web pour le club travail (composé à ce moment-ci de Mathilde Maillard, Thomas Bris, Lucie Caouder, Olaf Defoort) à la rentrée 2023. C’est une sorte de test de personnalité axé sur la thématique du travail, avec une surprise à la fin! C’est le premier site que j’ai fait avec :Tailwind, very nice. Je suis également en train de fabriquer un site web plus classique pour ma coopérative, l’Amicale (cette fois c’est l’occasion de découvrir Figma. C’est un éditeur :WYSIWYG pour fabriquer des sites web, et c’est de la grosse balle notamment parce que c’est multijoueur par défaut, c’est à dire qu’on peut y dessiner, en live, à plusieurs. Very very nice.)
sofia teillet sofia teillet sofia teillet
Arts vivants
- création : Tryhard (avril 25)
Je suis en train d’écrire une performance-pour-100-pointeurs-de-souris, ça s’appelle Tryhard. Ce que je peux vous dire à ce sujet : on va faire une soirée playtest au cinéma Méliès de Villeneuve-d’Ascq ce jeudi 5 Décembre à 18H, les premières seront accueillies chez nos ami.e.s du théâtre de l’Elysée (Lyon) du 1 au 4 Avril, et une série se profile au MAIF social club (Paris) l’été prochain du 19 au 21 Juin. Veneiiii
ci-dessus une vue du papier que j’ai gardé dans ma poche pendant trois jours à Avignon pour réviser ma présentation au prix SVSN. Voilà donc normalement maintenant vous avez compris de quoi ça parle. Oui c’est Douglas Engelbart à droite j’ai le droit personne sait qui c’est dans les arts vivants
- la tournée du tiret du six
On a joué à l’espace Malraux (Chambéry) en mai, et dans la très belle salle de fêtes de Fives en Janvier (2024). C’étaient deux dates importantes pour moi puisqu’elles m’ont donné l’occasion de présenter mon travail à mes ami.e.s d’enfance (en Savoie) et à mes ami.e.s de non-enfance (dans le Nord).
On jouera peut-être à Lille intramuros cette saison, le cas échéant je vous ferai signe sur ce très bon site web de type réseau social bon enfant
Miscellanées
- J’ai fait à manger pour 500 personnes (juin 23)
J’ai le bonheur d’exercer épisodiquement depuis 7 ans la fonction de cantinier amateur pour le cinéma Nova, à Bruxelles. Il y a exactement un an, mes camarades m’ont demandé de faire à manger pour une soirée de projections en plein air pour laquelle iels attendaient 200 personnes par jour pendant deux jours. Je me suis dit hein 400 personnes vont venir voir du cinéma expérimental, n’importe quoi, et puis en fait il y a bien eu 500+ mangeurs et mangeuses qui se sont présenté.e.s à notre stand à cette occasion.
J’ai décidé assez tôt dans le processus que je cuisinerais tout seul (spoiler alert : je n’y serais jamais arrivé sans :toute l’aide que j’ai reçu), histoire de voir si c’était possible. J’ai aussi eu la lubie de faire des foccacias au levain cuites au feu de bois, ce qui était quand même un peu foireux vu les quantités nécessaires (la fermentation au levain impose un rythme avec lequel on peut pas trop tricher). La veille du jour J j’ai perdu 3 précieuses heures à discuter en buvant des cafés avec Julien parce que why not, et au fond ce qui s’est passé c’est qu’au bout d’un moment je n’ai plus eu d’autre choix que de faire une nuit blanche de cuisine, un concept encore inconnu de moi et que je suis heureux d’avoir rencontré dans ma vie, mais si possible plus jamais ça. Il y a eu un moment de prise de conscience un peu angoissant vers 3 heures du matin, j’avais mal aux pieds, au dos, à la nuque, il y avait 12 saladiers remplis de pâte à foccacia qui s’impatientaient sur la table, un 7e continent de vaisselle dans l’évier et autour de l’évier, 200 tomates à éplucher, 50 tartes à préparer, le premier batch de toum (crème à l’ail) n’avait pas pris, et en faisant un calcul rapide j’ai constaté que je ne pouvais absolument plus m’arrêter de travailler pendant les prochaines ~36 heures si je voulais avoir une chance d’y arriver, en comptant un budget de pauses (y compris pour manger) de 5 à 10 minutes en total. It was a blast et je le referais sans aucune hésitation (je m’y prendrai un peu différemment tout de même). J’ai appris beaucoup de choses, et notamment que les tomates que vous achetez chez l’épicier (4€/Kg) sont acquises pour 0,80€/Kg au marché de gros. Et que la Bretagne est un gros exportateur de tomates manifestement?
la cuisine où j’ai fait ma nuit blanche, à Berchem. Matez-moi tout cet espace! j’ai certainement marché plusieurs kilomètres au cours de la nuit.
- Carnet d’agonie (automne 23)
L’année dernière pour la première fois de ma vie j’ai réussi à m’astreindre à un rythme quotidien d’écriture pendant un mois, c’était vraiment très excitant et je peux confirmer ce que j’ai entendu time and again, à savoir qu’écrire c’est plus facile quand on le fait tous les jours. Mon point de départ, c’était d’écrire une sorte de pastiche de :Thomas Bernhard. J’ai dû suspendre mon travail en 2024 parce que j’ai d’autres choses à faire, mais je reprendrai l’écriture l’été prochain.
chaque ligne que vous voyez ici, c’est moi qui “sauvegarde” la nouvelle version du manuscrit en me disant à moi-même ce que j’y ai changé. On peut y voir un peu les thématiques que j’aborde dans le texte et combien de fois déjà Stéphanie m’a relu.
voilà c’est tout pour les nouvelles! N’hésitez pas à sortir de la salle si vous voulez faire pipi parce que là je vais vous mettre un tunnel
Un Bouddhiste, un Musulman, un Protestant, deux Catholiques et un Orthodoxe sont à l’assemblée nationale
Contexte
À l’heure actuelle, il n’existe pas de cadre légal permettant à un docteur d’abréger vos souffrances, sur votre demande, en vous administrant un produit létal (autrement dit, le :suicide assisté ou l’euthanasie sont interdits. En :France en tout cas). Tout ce que les docteurs ont le droit de faire face à cette demande, c’est éventuellement d’accepter la suspension des soins et attendre que le décès survienne, mais seulement à condition que le pronostic vital du malade soit objectivement engagé à court terme - c’est à dire quelques jours. Tout geste ayant pour objet de provoquer directement la mort est strictement proscrit, et les soignants qui transgressent cet interdit sont régulièrement poursuivis en :justice. Ça peut sembler positif : yay les docteurs n’ont pas le droit de nous tuer sur un coup de tête! mais ça a aussi pour conséquence que les personnes qui désirent qu’on abrège leurs souffrances se retrouvent face à un mur, et aux justifications plus ou moins paternalistes, voire carrément métaphysiques, du corps médical. Plusieurs :évaluations récentes, sont parvenues à la conclusion que le cadre légal actuel de la fin de vie n’est pas satisfaisant, et cette question revient régulièrement sur la tapis dans la vie politique française depuis les années 2000 au moins.
Dépénaliser l’euthanasie était plus ou moins une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022, et comme François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac avant lui, il a reçu pendant son quinquennat plusieurs :lettres d’agonisant.e.s lui demandant d’intercéder en leur faveur afin qu’iels puissent recevoir une injection létale (aucun président de la république n’a jamais donné de suite favorable à ces demandes). Après avoir été étudié et affiné par la “commission spéciale sur la fin de vie” pendant des mois, un projet de loi sur la fin de vie allait finalement être mis au vote dans l’hémicycle le 18 Juin 2024, mais comme on le sait l’assemblée nationale est dissoute le 9. Les débats ont donc été abandonnés, bien que le rapporteur général de la commission spéciale (Olivier Falorni) a déclaré que s’il le fallait, il :re-proposerait le texte à la nouvelle assemblée aussitôt que possible.
J’ai du mal à évaluer les probabilités d’adoption de ce texte s’il était effectivement remis à l’ordre du jour, mais la fenêtre est certainement en train de se refermer, étant donné la :progression de l’extrême-droite dans la vie législative française. Je dis ça parce que “les droites”, au sens large, sauf exceptions, sont majoritairement opposées au projet de loi. Du côté de l’ex-majorité présidentielle, elle est elle-même divisée sur le sujet alors que le projet émane du gouvernement. Quand à la gauche, le thème de la fin de vie était absent de leur programme aux législatives de 2024, et André Chassaigne, le candidat du NFP à la présidence de l’assemblée nationale (qui a failli gagner mais finalement non, à 13 voix près), a déclaré publiquement qu’il voterait contre, dans une argutie qu’on retrouvera d’ailleurs telle quelle dans la bouche de plusieurs religieux de la table ronde. A moins que ce soit l’argutie des religieux de la table ronde qui s’est retrouvée dans la bouche d’André Chassaigne, profitant de sa grosse moustache communiste pour dissimuler le bonbon catholique qu’il suçotait en secret depuis tout ce temps.
De haut en bas et de gauche à droite, par ordre de prise de parole : Antony Boussmart (le Bouddhiste), Sadek Beloucif (le Musulman), Christian Krieger (le Protestant), Vincent Jordy (le Catholique n°1), Pierre d’Ornellas (le Catholique n°2), Carol Saba (l’Orthodoxe).
La table ronde a lieu à l’assemblée nationale, Paris. Nous ne sommes pas dans l’hémicycle, mais dans une autre salle, dite :Lamartine, volumineuse et haute de plafond, qui est située dans les sous-sols du Palais Bourbon. Les députés membres de la commission spéciale sur la fin de vie et les représentants du culte sont attablés à un grand bureau circulaire. Un écran au centre de la salle affiche un décompte du temps de parole à chaque fois qu’une bouche est ouverte. Contre le mur, un drapeau tricolore et un drapeau de l’Union Européenne. J’aimerais bien vous dire que je sais de qui est la grande toile accrochée dans le fond de la salle mais je n’ai pas trouvé. Au sol il y a de la moquette.
On reconnaît quelques personnalités médiatiques dans la salle : il y a notamment Sandrine Rousseau, bon que vous connaissez je pense, et Agnès Firmin-Le Bodo, qui est la big boss de la commission spéciale; vous en avez peut-être entendu parler parce que Médiapart avait sorti un dossier sur elle au moment où elle était ministre de la santé par interim (lors de la démission d’Aurélien Rousseau pendant les débats sur la loi immigration de janvier 2024) au sujet de 20 000 euros de “cadeaux” qu’elle aurait reçus de la part des :laboratoires Urgo du temps où elle était pharmacienne. Les autres député.e.s présent.e.s passent moins souvent à la télé, enfin bon vous les avez peut-être déjà vus si vous geekez sur la chaîne parlementaire. Il y a des gens comme Jérôme Guedj, Philippe Juvin, Danielle Simonnet.
La présidente prend la parole pour excuser le grand rabbin de France qui n’a pas pu venir, puis elle dit “qui veut parler en premier?”, avant de désigner Antony Boussemart (co-président de l’Union Bouddhiste de France) parce que personne ne réagit.
Le Bouddhiste
Notre premier religieux commence par une ouverture assez sympathique, il agite un livre de la main et dit que si quelqu’un.e est intéressé.e, il s’engage à le lui :donner. Le livre s’intitule Religions et fin de vie, les témoignages de grandes voix religieuses (ed. Fayard), et en réalité on dirait que la personne en charge d’organiser cette table ronde a juste repris la liste des auteurs du livre puisqu’on y retrouve plusieurs de nos protagonistes.
Boussemart, qui est opposé au projet de loi, comme tous les autres membres du panel, donne une variété d’arguments, mais le moment essentiel de sa prise de parole c’est quand il affirme “l’importance universelle de la préservation de la vie”, principe avec lequel, selon lui, le projet de loi entre en contradiction. Ce qui est intéressant c’est que l’argument qu’il utilise pour fonder cette importance universelle de la préservation de la vie, c’est que c’est aussi selon lui le principe central du GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale, NDLR). “S’engager pour la vie”, c’est le slogan du GIGN, dit-il. “Comme les soignants, [ils] ont pour mission de préserver la vie quelles que soient les circonstances” observe-t-il, oubliant peut-être que lesdits membres du GIGN portent tous à la ceinture un objet en métal qui n’a pas pour fonction la préservation universelle de la vie, mais halte! je répondrai aux arguments des religieux à la fin de ce texte. Enfin sauf cet argument parce qu’il est trop beau et que je ne veux pas l’abîmer, juste l’encadrer dans ma chambre.
Ceci étant, Boussemart a également dit des choses avec un vernis de rationalité, comme par exemple, que “pour les bouddhistes tous les moments de la vie sont une occasion d’apprentissage”, mais surtout, que l’aide à mourir risquait de créer des situations d’abus et des pressions sur les personnes vulnérables. On reviendra là dessus car c’est un argument qui est revenu tout le temps dans les débats, toutes couleurs politiques confondues (et c’est l’argument qu’André Chassaigne, dont on parlait en exergue, a mis derrière sa moustache).
Le Musulman
Le prochain à prendre la parole, c’est Sadek Beloucif, médecin, chef du service d’anesthésie-réanimation à l’hôpital Avicenne (Bobigny), et membre du CA à la Fondation de l’Islam de France. Il introduit son propos en affirmant qu’il “ne peut pas y avoir de contradiction entre théologie et politique”. Ce qu’il veut dire, c’est qu’il accepte la règle du jeu d’un débat agnostique : les arguments confessionnels ne peuvent évidemment pas avoir de valeur à l’assemblée nationale (la séparation de l’église et de l’état, yada yada).
“Que dit l’Islam sur la fin de vie?” continue-t-il néanmoins. Il cite la sourate 5 verset 32 : “C’est pourquoi Nous avons prescrit pour les Enfants d’Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes”. C’est el famoso interdit de tuer dont la formulation, issue de l’ancien testament, est commune :aux religions abrahamiques. Et donc, dit-il, “L’euthanasie, c’est le mal moral absolu”. C’est grosso modo la même idée que précédemment, la vie c’est bien donc causer la mort c’est mal.
Pour conclure son propos liminaire, il cite un Hadîth de Mahomet, selon lequel “les actes s’évaluent par l’intention.”, et arguant que l’intitulé du projet de loi n’était pas clair et que plutôt que “d’aide active à mourir”, il préférerait qu’on parle de “donner la mort” (là j’ai pas bien compris, il voudrait que le texte s’appelle “projet de loi pour donner la mort”?), proposition à laquelle il articule un peu étrangement une anecdote au sujet des condamnés aux US dont on désinfecte la peau (inutilement, sous-entend-t-il) avant injection du produit létal. Ce qu’il veut dire, c’est que “la médecine est apte à dissimuler ses intentions”, et que le projet de loi va créer une confusion sur le rôle du médecin. Est-il là pour nous soigner, ou pour autre chose, et pourquoi est-ce qu’il se ballade dans le couloir des urgences avec un revolver? Ah pardon j’ai :confondu avec un soldat du GIGN.
Le Protestant
Ensuite, c’est au tour de Christian Krieger (Président de la Fédération protestante de France). Il y a avec lui un certain Dr. Jean Gustave Heinz (qui a refusé de prendre la parole).
C’est le bon élève du groupe, réformiste plutôt que révolutionnaire, c’est le seul qui a structuré sa prise de parole autour de propositions d’amendements à la loi, plutôt que de se contenter d’asséner des principes moraux d’ordre général. C’est aussi le plus souriant, il gigote avec bonhommie a chaque fois qu’il se fait reprendre par Agnès Firmin-Le Bodo parce qu’il dit n’importe quoi sur le texte (effectivement certaines de ses propositions laissent entendre qu’il a mal révisé). Les deux arguments principaux qui structurent sa prise de parole sont les suivants ; ce sont des arguments que j’ai également très souvent entendu dans la bouche des députés :
- “aucune loi ne pourra jamais répondre à la multiplicité des situations de fin de vie”
- “il faut développer d’abord les :soins palliatifs”
A un moment il fait de l’esprit, avec ce minimalisme propre à une certaine culture de l’humour d’inspiration germanique : “on devrait accompagner jusqu’à la fin”, dit-il, “et pas juste la fin ; je fais ce petit jeu de mots”, dit-il en se tournant vers le docteur Heinz pour chercher du soutien, mais ce dernier affecte d’avoir quelque chose à regarder sur sa droite afin de fuir la complicité affectueuse de son collègue. On se demande pourquoi il est venu si c’était pour faire la gueule à son pote devant la représentation nationale.
Les Catholiques
C’est maintenant aux représentants de l’Église, Vincent Jordy (vice-président de la conférence des évêques de france) & Pierre d’Ornellas (archevêque de Rennes). Vincent Jordy prend la parole. Bon sans surprise il pense pas du bien du projet de loi, il reprend des arguments qu’on a déjà entendus, notamment que ça devrait pas s’appeler l’aide à mourir parce que c’est soi-disant ambigu (il sous-entend qu’on évite d’utiliser le mot “euthanasie” comme si le mot “mourir” dans “aide à mourir” était plus euphémique), sans néanmoins nous dire comment la loi devrait s’appeler, et citant Camus pour se donner une contenance (“mal nommer les choses c’est ajouter à la misère du monde”).
Il tente aussi un argument contre la liberté, citant l’article d’un journaliste Belge : “la liberté est illusoire quand l’esprit est captif d’un processus morbide”, nous dit-il. Malheureusement il est arrivé à la fin de son temps imparti et ne peut donc pas définir ce que le mot “morbide” veut dire dans ce contexte, ajoutant peut-être à la misère du monde.
C’est à son frère, comme il dit, Pierre d’Ornellas. Ce dernier lit son texte sur son Thinkpad™ avec les mains jointes en prière, avec pas spécialement de nouvel argument (j’ai levé la tête quand il a dit que “l’intelligence artificielle” allait améliorer la prise en charge de la douleur en soins palliatifs). Il propose néanmoins une chose intéressante qui m’a également traversé l’esprit, mais qui est probablement naïve du point de vue du droit, à savoir que soit inscrite dans la loi une interdiction de l’incitation (par le corps médical) à recevoir l’aide active à mourir (par exemple, vous arrivez à l’hôpital avec une angine et un docteur vous dit “hum! il est peut-être temps de penser à l’euthanasie parce que ça va nous coûter cher en humex-rhume”). J’imagine que les médecins seraient contre, parce que la ligne entre informer et inciter me semble mince. Néanmoins je trouve que c’est une piste de réflexion valable et je me désole que personne ne lui ait répondu sur ce point.
Puis il rate sa conclusion ; il avait pourtant son texte devant les yeux. “Donner la mort n’est pas un soin et ne le sera jamais”, commence-t-il. Si la loi passe, alors il faudra nécessairement renoncer au “serment d’hypocrite” dans les écoles de médecine, “sinon ça serait hypocrite”, dit-il, avec un regard triomphant sur son auditoire, ne se rendant pas compte qu’il a dit deux fois hypocrite et qu’Hippocrate est passé à la trappe. Christian Kreiger, qui cherche manifestement à se venger du docteur Heinz, quitte à ce que ce soit aux frais de son voisin innocent, rit ostensiblement dans le coin gauche de l’écran. On est à deux doigts d’une nouvelle guerre de religion mais c’est au tour du dernier membre du panel de parler.
L’Orthodoxe
Il s’agit donc de Carol Saba, avocat et porte-parole de l’assemblée des évêques orthodoxes de France. Ce qui est magnifique avec sa prise de parole, c’est qu’elle fait voler en éclats les efforts de tous les religieux qui ont parlé avant lui, qui ont diligemment rappelé qu’ils acceptaient la règle du jeu du débat parlementaire, c’est à dire que les arguments métaphysiques n’avaient pas cours dans les murs de l’assemblée nationale, qu’ils ne s’autorisaient que des arguments rationnels en tant que simples citoyens de la république, etc. Les premiers mots de Carol Saba : “la société est en plein dérapage éthique, parce qu’elle imagine une éthique sans transcendance”, oops, puis assez vite, les mots : “le Seigneur est le maître de la vie” sont prononcés. On voit Vincent Jordy (✝️), qui était resté tranquille jusque là, s’affairer sur son flanc en feuilletant inutilement ses papiers.
Puis Carol Saba enchaîne, très animé, en parlant de la constitutionnalisation de l’IVG (le feuilletage de papiers s’intensifie sur sa droite) qui, comme le projet de loi sur la fin de vie, est selon l’avis de l’assemblée des évèques orthodoxes de France, une régression humaine et figure un renversement des valeurs (dans le sens, un mauvais renversement. un accident de la route des :valeurs). “Le grand Pan est de retour!” continue-t-il avec panache (oui oui il est bien en train de traiter les députés de païens), et il dit attendez voir je vais vous lire l’extrait d’un livre. Vincent Jordy et Pierre d’Ornellas (✝️✝️) dans le coin gauche de l’image n’osent plus respirer, leurs visages crispés tournés vers Carol Saba. Il lit (la fin de la chrétienté, Chantal Delsol, ed. du Cerf) :
“Le suicide était vanté, voire encouragé dans certaines circonstances, notamment parmi les épicuriens […] ici aussi Platon avait devancé le christianisme dans le Phédon en laissant entendre que nous ne sommes pas maîtres légitimes de notre vie. Au IVe siècle, le christianisme renverse l’opinion précédente concernant le suicide, nous n’avons pas à disposer de ce qui ne nous appartient pas en propre, à vouloir prendre une décision qui n’est pas la nôtre.”
Reposant son livre, il martèle : la chrétienté c’est 16 siècles de valeurs non mais ho, toute vie est l’oeuvre de dieu, ni la vie ni la mort ne nous appartiennent, Agnès Firmin-Le Bodo commence à s’agiter et lui dit que son temps de parole est terminé, alors il enchaîne ses dernières idées le plus vite possible : il dénonce l’“éthique en roue libre” que trahit le texte de loi, puis, avec un air entendu : “est-ce qu’on est aujourd’hui avec ce texte de loi dans une logique électoraliste?”, avant de conclure en citant Jean Cocteau : “il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur, et que la science soit une suite d’erreurs qui se contredisent”. Il se fait couper par la présidente. La température est montée d’un cran dans la salle. Devant mon ordinateur, je suis satisfait. Carol Saba a brisé le charme, et on distingue bien dans la salle cette nouvelle invitée, l’idée manifestement toujours révolutionnaire que notre corps nous appartient, et qui ne met toujours pas la société :d’accord.
Les réactions des rapporteurs de la commission
Les rapporteurs, de haut en bas et de gauche à droite : Agnès Firmin-Le Bodo (qui est présidente en l’occurence, pas rapporteuse, bref), Olivier Falorni, Didier Martin, Laurence Maillart-Méhaignerie, Laurence Cristol, Caroline Fiat.
Et c’est maintenant aux rapporteurs de poser des questions (ou de poser des fausses questions) au panel de religieux. Les rapporteurs de la commission spéciale sont les député.e.s qui ont été désignés pour représenter les travaux de la commission au reste de l’assemblée nationale. Iels sont sensés défendre la proposition de loi, même s’ils sont pas 100% en accord avec tout. J’imagine aussi que ce sont eux qui ont eu l’idée de faire venir les religieux dans la salle Lamartine ; et on peut supposer que leur but, ce faisant, est de s’adresser à la communauté des croyant.e.s de France par leur entremise.
C’est le rapporteur général, :Olivier Falorni, qui prend la parole en premier. Ça fait longtemps qu’il travaille sur le sujet de la fin de vie ; en 2013 déjà il interpellait la ministre de la santé (à l’époque, Marisol Touraine) en évoquant l’agonie de sa mère et en demandant la dépénalisation de l’euthanasie. En 2017, il utilise la niche parlementaire de son groupe (à ce moment, LIOT), pour déposer une proposition de loi, qui est directement rejetée en commission, puis après avoir moisi 5 ans revient dans l’hémicycle en 2021, seulement pour se faire bolosser par l’obtruction de cinq députés LR qui déposent 3000 amendements. Il y a tellement d’amendements que for some reason ça pète tout et qu’ils n’ont que le temps de voter l’article 1 de la loi, dont la portée est symbolique. Il y a plusieurs séquences saisissantes dans les débats de 2021, notamment ce petit moment de flex transpartisan où Falorni, qui a pourtant perdu, fait le chauffeur de salle et demande aux députés de tout bord de s’applaudir les un.e.s les autres (Caroline Fiat a presque droit à une standing ovation alors que c’est une vilaine LFIste), ou ce moment de lol où Aurore Bergé (LREM), toujours au top, critique le projet de loi en citant Michel Houellebecq, se dernier s’étant fendu d’un :texte ridicule dans la presse nationale critiquant la dépénalisation de l’euthanasie.
On peut dire que ça fait donc au moins 11 ans qu’Olivier Falorni essaie de pousser la loi française dans cette direction, et échoue. Les religieux qu’il a en face de lui ne sont pas étrangers au blocage dont il fait l’expérience depuis plus d’une décennie, et il décide manifestement de profiter de l’occasion pour les mordre. Grosso modo, il leur rappelle qu’ils se sont bien fait défoncer en 1789 et qu’il faudrait pas trop qu’ils fassent les malins, mais que par ailleurs il est content qu’ils viennent parler ici parce que c’est bien la preuve que “la république est forte”, et que “la foi ne fait plus la loi”. Il rappelle à l’ensemble de l’auditoire que la république a “conquis de haute lutte” (“conquis de haute lutte” répète-t-il deux fois en pesant ses mots) le droit de ne pas souffrir, le droit d’être protégés contre l’acharnement thérapeutique, le droit d’avorter. Après avoir affirmé que la république respectait les croyants, y compris au sein des rangs de la représentation nationale (dit-il avec un regard appuyé sur les député.e.s), il termine en formulant assez maladroitement sa question au panel des religieux : est ce qu’il n’y a pour vous aucune situation où l’euthanasie puisse être justifiée?
Les autres rapporteurs posent d’autres questions qui sont globalement dans la même veine passive-agressive, notamment : “la :sédation profonde et continue jusqu’à la mort, c’est pas une aide à mourir ça pour vous, bande d’inconséquents?” (Laurence Cristol, Laurence Maillart-Méhaignerie), et “vous allez dire quoi à vos croyants si la loi passe huh?” (Didier Martin).
Et alors je sais pas si c’est le hasard ou si c’est un biais psychologique qui a été étudié par ailleurs, mais c’est à nouveau la parole la plus radicale qui clôt le tour de table, puisque c’est au tour de :Caroline Fiat, la toute première aide-soignante députée dans l’histoire de l’assemblée nationale, de prendre la parole. La première fois que je l’ai entendue, c’est lors d’une séquence cruelle où, en 2020, dans un contexte d’intensification du :mouvement social hospitalier, une infirmière est :poignardée à mort sur son lieu de travail par son patient en psychiatrie. Le lendemain, Caroline Fiat, bravant un premier refus de la conférence des présidents (ce sont eux qui établissent l’ordre du jour à l’assemblée nationale), décide d’utiliser son temps de parole pour proposer une minute de silence, arguant que “dès qu’un fonctionnaire d’état décède dans l’exercice de ses fonctions, il est d’:usage de lui rendre hommage”. Sa gorge s’étrangle, ses mains tremblent, les députés LFI se lèvent, quelques autres à leur gauche, mais la voix du président de l’assemblée (à l’époque c’était Richard Ferrand, LREM) brise immédiatement le silence, rappelle que c’est pas elle qui décide, et la menace de lui retirer la parole si elle n’a pas de questions à poser au gouvernement (ce qui n’est pas correct d’un point de vue logique parce qu’elle s’était déjà auto-retirée la parole, mais passons).
Qu’est ce que Caroline Fiat veut demander aux religieux? Elle introduit son propos avec un peu de lexicologie, elle dit, très hésitante, qu’elle ne va pas dire “désaccord” mais, euh, qu’elle va dire “incompréhension”, puis se tait. Puis elle les remercie, puis elle dit qu’elle n’a pas de religion, comme d’ailleurs 60% de français, que ses parents avaient “choisi une religion, qu’elle a choisi de ne plus avoir”, et que “vous” (les membres du panel) représentez donc des personnes qui ont une religion “et c’est entendable”, condède-t-elle péniblement.
“Mais”, dit-elle, reprenant son souffle et retrouvant manifestement le fil de sa pensée, ou le courage de dire ce qu’elle avait en tête depuis le début, “Les convictions cultuelles ont changé, j’ai eu la chance de grandir dans un petit village, la maison de mes parents était devant l’église, et une fois j’avais dit à l’abbé que je ne comprenais pas pourquoi il y avait trois tombes [à l’écart du cimetière], et il m’a expliqué que c’était un divorcé et deux suicidés”. “Et depuis ça a bien changé”, ajoute-t-elle, avec un sourire malicieux. “Et y’a plein de choses comme ça, comme je crois c’est dans la bible, il y a écrit ‘tu enfanteras dans la douleur’, maintenant on a le droit à la péridurale”, “n’y voyez rien de méchant hein je je”, dit-elle en agitant ses mains devant elle comme pour essuyer une vitre, pendant que ses deux voisines (Laurence Cristol et Laurence Maillart-Méhaignerie) hochent énergiquement la tête avec une expression de défi. “Donc en fait on évolue”. Conclut-elle, optimiste.
Puis elle explique que dans sa pratique d’infirmière en EHPAD elle respectait les besoins religieux des patients, en accord avec les principes des “14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson”, qu’elle lisait des passages de “vos très beaux textes” à ses patients, et qu’elle travaillait avec les dignitaires religieux en accord avec les volontés des mourrants. “Rien ne sera imposé à personne”, “alors je ne vois pas quelle crainte il pourrait y avoir”.
“Ma question va être très simple”, conclut-elle, “quel est votre avis sur ces 60% de français qui n’ont pas de religion? doit-on leur interdire, parce que vos convictions cultuelles, vous empêchent, vous?”. Et elle éteint son micro en faisant une moue d’enfant qui assume à moitié sa provocation (c’est à dire avec excitation et les lèvres pincées en mode “j’ai fait une connerie houhou!”).
Réponse des religieux aux rapporteurs
Carol Saba (☦️), qui était déjà chaud, passe en mode full Al Paccino et défie Olivier Falorni du regard en lui disant que les “conquètes” sur lesquelles il a lourdement insisté, c’était des conquètes sur qui? “des conquètes sur qui?” repête-t-il a son tour comme si il voulait se battre, ou se victimiser, on ne sait pas bien, et comme si la réponse portait particulièrement à débat (il vient littéralement de dire que l’assemblée des évèques orthodoxes de France étaient opposés à l’IVG). “Les conquètes, c’est toujours contre quelqu’un”, conclut-il, lucide.
d’Ornellas (✝️) : amoureux d’Agnès Firmin-Le Bodo, “je vais répondre par 4 phrases aux 4 questions”, dit-il, “vous êtes parfait” répond la présidente, “la perfection existe, elle est bretonne”, conclut-il, allant trop loin (par ailleurs il est né à Paris). Répondant à Caroline Fiat, il dit qu’il n’a jamais cité la bible, qu’il n’a jamais fait un argument de foi, qu’il ne faut pas enfermer le culte dans une expression cultuelle (c’est indigne de la république, ajoute-t-il). Il cite :l’encyclique “foi et raison” de Jean-Paul 2. En réponse à Didier Martin (“vous allez dire quoi à vos communautés si la loi est adoptée?”), il dit que si un croyant vient lui dire qu’il va pratiquer l’euthanasie dans sa famille, “mais j’accueillerai mon frère ou ma soeur dans la fraternité et dans un rapport d’affection mutuelle!”, “qui es tu pour juger ton prochain dit la bible?” oups là j’ai cité la bible conclut-il.
Krieger (🏛️) : En réponse à Didier Martin également, il dit qu’il accompagne déjà des coreligionnaires qui vont en :Suisse pour recevoir l’euthanasie. “c’est une loi pour la psychologie des bien-portants!” dit-il néanmoins.
Beloucif (☪️) : Peut-être galvanisé par Saba, il décide de s’en payer une tranche aussi et demande à Falorni combien de demandes d’euthanasie il a reçues pendant sa carrière. Mais Falorni n’est pas médecin donc on voit pas trop de quoi il veut parler, ou si c’est simplement qu’il voulait lui foutre la honte de ne pas avoir de vrai métier. Who knows, en tout cas il continue, pour préciser ce qu’il voulait dire au sujet de l’importance de l’intention en médecine, évoquant le traitement de la douleur en soins palliatifs, qui n’a pas pour objectif de causer la mort : “j’ai l’intention de retirer l’appendice et ce faisant je fais une cicatrice”, dit-il. Puis il se tourne vers Caroline Fiat, par rapport aux thème de la douleur dans la liturgie chrétienne : “c’est une question qui a été posée par l’association d’anesthésie mondiale à Pie XXII en 1957”, gros mic drop, “par la suite :Vatican 2 a supprimé l’idée de rédemption par la douleur”. Ayant décelé le goût de Caroline Fiat pour la sémantique, il dit que le célèbre “tu enfanteras dans la douleur” est traduit différemment en anglais, et que le mot issu de la bible hébraïque est “צַעַר”, qui peut être traduit par “Sorrow”, “Grief”, “Chagrin” ; pour lui le sens de cette proposition, c’est que la Bible recommande de prendre la mesure de la gravité de l’acte, d’accoucher dans la peine donc mais pas nécessairement dans la douleur.
Boussemart (☸️) a le seum parce qu’il lui reste qu’une minute pour parler. Il utilise son temps de parole pour nous menacer implicitement d’un grand retour de la religion qu’il prétend observer depuis le covid, puis propose, sans honte pour son manque d’humilité poussé au maximum, qu’il faut “éduquer nos concitoyens à la mort”, sous entendu, tout le monde est trop con pour savoir mourir comme il faut (contrairement à lui, grâce à tous les documentaires sur le GIGN qu’il a regardé sur youtube)
Olivier Falorni et Laurence Cristol ont apparemment le droit de répondre aux réponses des religieux. Falorni dit qu’il est déçu que personne n’ait répondu a sa question et il la pose à nouveau (tout le monde va le snobber à nouveau malheureusement). Quand à Cristol, s’adressant à Beloucif (☪️), elle dit au sujet de ses remarques sur l’intentionalité, en substance : “arrêtez vos conneries je suis médecin et on sait tout les deux que dans le cadre de la sédation on connaît le seuil au delà duquel on :commence à tuer”. Beloucif commence à répondre mais quand il dit le mot “choc anaphylactique” Agnès Firmin-Le Bodo l’engueule parce que “ça devient trop technique” et qu’elle a 14 questions de députés. Que voici. Iels ont une minute chacun.e.
Les questions des député.e.s
De haut en bas et de gauche à droite : Jean-Pierre Pont, Christophe Benz, Hadrien Clouet, Annie Genevard, Philippe Vigier, Jérôme Guedj, Nicolas Turquois, Sandrine Dogor-Such, Marine Hamelet, Danielle Simonnet, Philippe Juvin, Anne Bergantz, Sandrine Rousseau.
Contrairement aux rapporteurs, les députés ne sont que des députés ; le bon côté des choses c’est que ça leur donne le droit d’être contre la loi, et de tirer la qualité du débat vers le bas s’ils le souhaitent.
:Jean-Pierre Pont : Il demande aux religieux s’ils sont pour ou contre l’euthanasie, texto. Je ne comprends pas. Peut-être qu’il écoutait un podcast depuis tout à l’heure. Il leur propose d’utiliser un code pour leur répondre, en s’inspirant des feux tricolores, rouge, orange ou vert? Le mec s’appelle “Pont” et il nous parle de feux de signalisation.
:Christophe Benz : Il demande obséquieusement à Beloucif (☪️) d’expliquer les raisons profondes pour lesquelles il ne peut pas être légitime de légaliser l’euthanasie.
:Hadrien Clouet : En réponse au texte lu par Carol Saba (☦️), il dit qu’“on peut préfèrer Sénèque à Platon”, puis, reprenant la démonstration de Beloucif (☪️), que si ce qui compte, ce sont les intentions, alors il n’y a pas de contradiction entre l’euthanasie et l’interdit de tuer, dans la mesure où il n’y pas d’intention de tuer dans l’aide à mourir, seulement l’intention de soulager les souffrances.
:Annie Genevard : Elle dit, en prenant des milliards de détours (oubliant manifestement que le but n’est plus de faire de l’obstruction puisque sa parole est chronométrée) que c’est super que tous les religieux soient d’accord parce que le projet de loi est très méchant. Agnès Firmin-Le Bodo invente de nouvelles façons de taper sur son micro avec son stylo pour lui rappeller que son temps est écoulé. Sa question : quelle forme peut prendre votre participation à ce débat? mdr
:Philippe Vigier : j’ai été choqué, choqué, dit-il, quand vous avez prétendu que cette loi avait pour but de faire des économies sur les dépenses de santé (bon perso je trouve pas que ce soit une hypothèse particulièrement choquante vu le contexte social mais bref) Sa question : fallait-il une loi Claeys-Leonetti (encouragant la sédation profonde et continue jusqu’à la mort), car beaucoup d’entre vous s’y étaient opposés, “pas tous, beaucoup j’ai dit”, ajoute-t-il, on entend des indignations hors champ. Sa question : fallait-il légiférer et faut-il aller plus loin?
:Jérôme Guedj : il embrouille Carol Saba (☦️), puis accuse les religieux d’hypocrisie parce qu’on les avait pas entendus soi-disant défendre la Vie à l’époque des débats sur l’abolition de la peine de mort (avant 1981 donc).
:Nicolas Turquois : il dit que malgré son parcours personnel de foi, il a été déçu et choqué par les prises de parole du panel. “Ce qui fait avancer, c’est le doute, et je n’ai entendu que des certitudes”, dit-il. Sa question : il demande à Boussemart d’expliquer exactement ses insinuations au sujet des pressions sur les personnes vulnérables.
:Sandrine Dogor-Such : 56% des personnes qui ont recours à l’euthanasie en Orgeon sont des personnes isolées. Sa question : c’est quoi votre avis là dessus?
:Marine Hamelet : sa question : vous pensez quoi des directives anticipées? Merci, ajoute-t-elle avec un sourire, sincèrement émue.
:Danielle Simonnet : “Merci monsieur le président”, commence-t-elle, mégenrant assez puissamment Agnès Firmin-Le Bodo (on voit pas trop comment elle fait pour se gourrer à ce point vu que la présidente de l’assemblée est aussi une femme, mais bref), avant de se lancer dans un plaidoyer pour la laïcité pendant que la présidente cherche quelqu’un ou quelque chose du regard en tapant sur le micro, parce que le temps est déjà écoulé. “Votre question chère collègue”, demande-t-elle avec un grand sourire de vipère aspic (c’est le moment de vous avouer que j’adore regarder les interventions de Danielle Simonnet à l’assemblée parce qu’elle en a à la fois 100% rien à foutre de dépasser systématiquement son temps de parole, mais elle est toujours méga-vexée de se faire couper.) “Il n’y a pas eu d’incitation sur l’IVG et il n’y en aura pas sur l’aide active à mourir”, continue-t-elle sans se presser, “70% des catholiques sont favorables à l’aide à mourir”, “et donc il n’y a pas de question” conclut la présidente. “non j’ai pas de question” répond Danielle Simonnet silencieusement car son micro est coupé (et je vous emmerde dit son body language).
:Philippe Juvin : Il consacre sa prise de parole à la dénonciation de ses voisins députés qui auraient “ricané” quand Pierre d’Ornellas (✝️) a dit que la sédation profonde avait pour fonction d’aider, pas de tuer. “moi j’ai mis mon père sous sédation profonde.” dit-il. “Je n’ai pas tué mon père, je l’ai aidé. la différence est fondamentale, ceux qui ont pas compris ça n’ont pas compris la loi leonetti”.
:Anne Bergantz : économe, sa question : “le droit à la vie implique-t-il qu’on doive supporter toute vie?”
:Sandrine Rousseau : mezzo vocce, puis le volume de sa voix se gonflant à mesure que l’indignation augmente, elle dit que tout le monde a l’air d’oublier que la loi ne concerne que les personnes qui de toutes façons vont mourir à court ou moyen terme. “moi j’ai aidé ma mère à mourir, elle s’est suicidée et j’étais présente. qui aurais-je été pour lui refuser mon assistance?” (Sandrine Rousseau a pris la parole publiquement pour la première fois sur ce sujet en 2013. Sa mère et celle d’Olivier Falorni s’étaient liées d’amitié ; elles étaient toutes les deux atteintes d’un cancer). “Ce qui est absent de vos prises de parole, c’est la souffrance des personnes”, conclut-elle.
Réponse des religieux aux député.e.s
c’est la dernière volée de prises de parole! Agnès Firmin-Le Bodo dit qu’on a cinq minutes, oui, cinq minutes, si si, parce que “les :philosophes nous attendent”.
Carol Saba (☦️) : je vous jure je voulais pas vous choquer! Puis : “mais madame Sandrine Rousseau. On ne fait que ça accompagner la souffrance.”
Vincent Jordy (✝️) : “et moi j’ai accompagné mon frère mort à 40 ans d’un cancer en trois mois.” Puis il répond au truc des feux tricolores, trop sympa. Il dit qu’hélas il n’est pas spécialiste de la circulation urbaine (Saba a l’air sincèrement désolé également, il hausse des épaules), mais qu’en tant que croyant il est éclairé par deux lumières (clin d’oeil), une lumière extérieure (la révélation du christ) et une lumière intérieure (la raison). Il cite une personne dont j’ai pas retrouvé l’identité : “Le fou ce n’est pas celui qui a perdu la raison c’est celui qui n’a plus que la raison”. Puis il dit, ménagant son suspense, que “quelqu’un” a dit dans une rencontre publique qui avait lieu dans un lieu public (?), que l’importance des religions, c’était le rapport au temps long. c’est Emmanuel Macron la personne qui a dit ça, révèle-t-il en conclusion à son public indifférent. Nous nous permettons de réfléchir au temps long et de nous poser des questions, dit-il.
Pierre D’Ornellas (✝️) : “merci beaucoup d’avoir parlé de la souffrance. C’est un sujet qui ne cesse de nous habiter”. Il dit qu’il était hier matin dans un EPHAD et qu’il a tenu la main de plusieurs personnes dans plusieurs chambres. Puis je comprends pas à quelle question il répond, mais il dit qu’il connait un prêtre qui était content de se faire amputer parce que son oncologue à villejuif (précis) lui avait demandé comment il s’appellait et ce qu’il faisait dans la vie. Ce qu’il veut dire c’est qu’on préfère les médecins avec des qualités humaines, ou en tout cas qui font semblant de s’intéresser à leurs patients. Je ne sais pas si l’exemple de l’amputation était le plus à propos mais on est d’accord sur le fond.
Krieger (🏛️) : si le texte est adopté nous agirons en conformité avec la loi.
Beloucif (☪️) : Il choisir de répondre à la question de Christophe Benz sur les raisons fondamentales de son opposition. Il affirme qu’il est inquiet de ce que la loi va faire aux “autres personnes”, c’est-à-dire celles qui ne demandent pas l’euthanasie. Il raconte que dans le cadre de ces cours, il lui arrive de proposer un exercice de pensée à ses étudiant.e.s : une personne en soins palliatifs est en train de discuter avec sa famille à la caféteria de l’hopital, et s’étouffe en buvant son café : demandant à ses étudiants s’ils doivent pratiquer des soins de réanimation dans ce cas, la moitié d’entre eux répondent que non, “parce que le patient a été étiqueté soins palliatifs”, conclut Beloucif ; “c’est ça qui me fait peur”.
et la dernière parole religieuse de la table ronde revient à Antony Boussemart (☸️), qui dit qu’en gros, si les religions placent leur réflexion sur le temps long comme le disait Vincent Jordy (✝️), les bouddhistes sont sur un temps ennnncooooreeee plusssss looooong parce que la réincarnation.
Conclusion : samuel répond aux religieux
Enfin, Agnès Firmin-Le Bodo donne la parole à Samuel Hackwill pour qu’il livre ses pensées au sujet de la fin de vie.
Pour moi, l’intérêt principal de la loi réside dans un effet qu’on appelle la :réassurance. Tout à l’heure, Christian Krieger (aka le Protestant) disait : “c’est une loi pour la psychologie des bien portants!”, et il a raison, mais à mon sens ce n’est pas un argument contre le projet de loi, tout au contraire. Ce n’est pas parce qu’une personne n’est pas encore malade qu’elle n’a pas de raison légitime d’être inquiète sur la façon très concrète dont le grand âge peut se dérouler, et en tout cas les personnes qui seraient ouvertes à l’idée de se suicider pour éviter des situations jugées inacceptables par elles en fin de vie, seraient rassurées que cette option existe, qu’elles en viennent à y avoir recours ou non. Les militant.e.s du suicide assisté témoignent que dès lors qu’iels ont eu accès (illégalement) à des produits pouvant donner la mort, leur craintes au sujet de la fin de vie se sont :apaisées. La dépénalisation de l’euthanasie pourrait avoir un effet de réassurance sur l’ensemble de la population française et en particulier les personnes âgées.
Puisque je parle de Krieger, j’aimerais répondre à un autre argument qu’il a utilisé, par principe. Il disait plus tôt : “aucune loi ne pourra répondre à la variété des situations de fin de vie”, et à la limite on peut comprendre que Krieger, qui n’a pas nécessairement de culture du droit (contrairement à Saba ☦️ et Jordy ✝️ qui sont tout deux juristes), puisse sincèrement penser que c’est un bon argument. Ce qui est plus grave, c’est que j’ai entendu plusieurs député.e.s y avoir recours également. Les député.e.s, c’est à dire les personnes qui ont le pouvoir d’écrire la loi, déclarent que leur travail est impossible parce que le monde présente une trop grande variété de situations. Mais je veux dire, est-ce qu’on a déjà entendu quelqu’un.e dire : “il y a trop de façons différentes de gagner de l’argent donc n’essayons même pas d’imaginer un impôt sur le revenu” ou “il y a plein de façons de tuer une personne donc ça sert à rien d’écrire le code pénal”? Soyons sérieux. Si vous entendez un.e député.e dire ça un jour à propos de n’importe quel sujet, c’est de l’obstruction, period.
Beloucif (☪️) maintenant. Étant anesthésiste, c’est évidemment le :plus solide de la team, avec une mention spéciale pour son eucuménisme. Cependant, quand il parle de “la confusion sur le :rôle du médecin”, a mon avis il se trompe sur les causes qui font que les français.e.s puissent ressentir de la défiance vis-à-vis du corps médical. À mon sens, une des raisons en est que les médecins n’hésitent pas à utiliser leur position de force pour peser sur la vie politique française, comme c’était le cas par exemple dans les années 70 au sujet de :la loi Veil. On notera au reste que les législateurs ont glissé une clause de conscience pour permettre aux médecins récalcitrants de ne pas pratiquer l’euthanasie si c’est contraire à leurs convictions, exactement comme ça avait été fait pour l’IVG.
Quand à l’argument du validisme, qui est utilisé par André Chassaigne (le coco moustachu), les députés d’extrème-droite, Boussemart (aka le Bouddhiste), etc, qui prétendent qu’en gros on va pousser des personnes déjà exclues de la société vers la sortie, je comprends cet argument et c’est une question valable ; mais ce que je ne comprends pas, c’est que les législateurs, qui ont pourtant le pouvoir d’établir des contre-mesures légales pour lutter contre cette dérive possible de la loi, soient dans une démarche de dénonciation plutôt que dans une démarche de proposition. Pour moi c’est la preuve qu’ils sont de mauvaise foi et tout simplement opposés à la loi (pour d’autres raisons inavouables : soit des raisons métaphysiques soit des raisons éléctoralistes). Un membre de la commission qui n’a pas pris la parole lors de la table ronde (René Pilato, LFI, réélu en 2024), de son côté, a réussi à faire adopter un amendement pour que les “maisons d’accompagnement” (où devait être pratiqué l’euthanasie) :ne puissent en aucun cas relever du privé. Je ne suis pas sûr de la portée effective de cet amendement, mais c’est juste pour donner un exemple du pouvoir que les députés ont juste au bout du stylo.
Un autre argument qui revient souvent, c’est que la majorité des personnes dont la douleur est prise en charge en unitées de soins palliatifs ne demanderaient plus l’euthanasie. C’est faire abstraction d’au moins deux choses : premièrement, qu’est ce qu’on fait de la minorité de personnes qui continuent à demander l’euthanasie? Et deuxièmement, qu’est ce qu’on fait des personnes qui ne veulent tout simplement pas :médicaliser leur fin de vie?
Ce qu’il est important de rappeler en conclusion, c’est que les personnes opposés à la dépénalisation de l’euthanasie refusent de se montrer lucides face à la prévalence actuelle du suicide chez les personnes âgées, qui sont :deux fois plus fréquents que dans la population générale, et se font pour la majorité des cas avec des méthodes :violentes, excluant la possibilité d’une mort douce, conviviale et sans risques pour les proches. Plusieurs années après que l’IVG ait été adoptée, même le président de l’ordre des médecins, Jean-Louis Lortat-Jacob, pourtant strictement opposé à l’avortement, concédait que : « la loi Veil a apporté une amélioration sanitaire considérable, puisqu’elle a permis la quasi-disparition des accidents septicémiques graves dus à l’avortement clandestin de jadis ». Peut-être dira-t-on un jour la même chose de l’aide active à mourir.
merci à Michèle Planche, Jacob Lyon et Stéphanie Aflalo pour vos relectures et pour absolument tout le reste, notamment le fait de m’avoir donné la vie, chacun.e à votre façon.
à Nino.